Peinture d'évangile

Catherine Axelrad

Point de vue critique

Nadeije Laneyrie-Dagen, professeur d’Histoire de l’Art à l’École normale supérieure

Comment, aujourd’hui, affronter ces sujets en évitant l’écueil d’une imagerie naïve et sentimentale, et celui, auquel des films récents n’ont pas toujours échappé, d’une iconographie sanglante à l’excès ? Comment évoquer une histoire trop connue et partiellement oubliée en lui restituant son mystère — son aura ?
Catherine Axelrad accomplit des choix de composition toujours simples. Plus qu’à un récit, elle s’essaie à des rappels de mémoire. Autour de quelques objets symboliques dont elle ne peint souvent qu’un fragment, la croix de la Passion, l’agneau mystique… elle dispose des figures dont l’actualité nous est immédiatement sensible et qui réveillent en nous, c’est selon, des souvenirs vagues ou précis : la face de la Vierge au pied de la croix, le blond et jeune saint Jean…
La force remémorative de ses tableaux doit beaucoup à de discrets rappels : ils viennent d’un patrimoine qui n’est pas seulement religieux et qui est notre bien commun. Catherine Axelrad ne peint pas « d’après modèle » et elle n’invente pas ses personnages. Elle en puise les traits dans les siècles qui nous précèdent comme dans le nôtre. Telle silhouette dans un tableau célèbre, telle photographie contemporaine, tel personnage dans un dessin presque inconnu arrêtent son attention. Qu’ils soient d’époques différentes ne la gêne pas, au contraire, et la diversité des échelles la perturbe encore moins. Ces physionomies, Catherine Axelrad les fait siennes : elles deviennent les êtres de ses tableaux. Le processus a cela d’efficace qu’à l’intimité plus ou moins certaine que le spectateur entretient avec les sujets, s’ajoute une autre familiarité, plus vague et non moins impérieuse : les figures de Catherine Axelrad donnent l’impression de retrouver d’anciennes fréquentations. Les contempler revient à renouer avec des intimes : des personnes jadis proches, dont on oublié les noms mais pas les visages.
L’enquête qui consisterait à retrouver l’identité de ces vieilles connaissances serait vaine. Les sources de Catherine Axelrad sont multiples et le traitement qu’elle fait subir aux images qui l’inspirent est destiné à nourrir une sensation combinée d’accoutumance et de nouveauté. Ce travail, qui relève aussi de l’art brut, associe des procédés techniques hérités du passé et d’autres qui sont neufs. Son support est la toile, son médium la peinture. Elle utilise les ciseaux pour isoler les détails qui la captivent. Puis elle procède par collages, transformant les échelles, modifiant les rapports de taille. Elle distribue les figures, elle construit ses tableaux par cette mise en abyme de citations qu’elle repense et transforme. La procédure se poursuit avec un nouvel agrandissement considérable. L’impression sur toile remplace la mise au carreau qui permettait aux peintres d’accroître jusqu’à la taille voulue les compositions dessinées dans de petites esquisses. Sur la toile les figures sont à la fois nettement délimitées et cependant floutées par l’accroissement démesuré des modèles. Des macules apparaissent : traces parasites, stigmates venus non du motif, mais de la succession des opérations de reproduction dont l’œuvre procède. Ces traces marquent les visages, elles deviennent leur chair : une seconde peau. Elles tatouent sur les corps d’étranges fleurs graphiques.
Le travail de peinture transforme ces impressions, l’équivalent de gravures, en des originaux. A la détrempe et l’acrylique, auxquelles elle ajoute quelquefois de la colle ou de la craie, Catherine Axelrad peint quelquefois deux versions de chaque toile, avec pour chacune un choix chromatique particulier. La logique de la reproductibilité, consubstantielle à notre époque, et le respect de la singularité de l’œuvre, s’accordent avec le thème : parole unique du Christ, visions plurielles des Evangiles, et réitération du message chrétien universellement et de siècle en siècle.

N. L.-D.